LA NUIT DANS LE BLOCK
«La nuit l’aération est presque nulle et plus de 500 hommes dorment entassés dans une odeur d’urine et de vêtements mouillés. Dans cette cohue de dormeurs, les uns rêvent à voix haute, les autres le disputent. Le sommeil est un des derniers bastions où l’individu peut s’appartenir. On voudrait avant de s’endormir, penser à sa famille, imaginer le retour chez soi. L’obsédante faim dessine des images de pain blanc qui ont parfois une priorité fugitive sur les visages aimés. Ce cinéma interne dure peu, la fatigue endort vite malgré la position incommode, l’entassement infect, les pieds du voisin sous le nez. La lutte contre le repos nocturne est méthodiquement organisée par les SS. Ces moments de délassement relatif sont de courte durée. L’alerte retentit le plus souvent vers minuit et c’est la ruée obligatoire sous les coups de schlague et de planches, vers des caves.»
Louis Maury, Quand la haine élève ses temples, Imp. Gutenberg. Louviers, 1950
GROSS ALARM
«Nous étions voisins de Hambourg, que la RAF bombardait presque chaque nuit ; en outre, les avions anglais traversaient le ciel pour s’enfoncer plus loin dans le pays. Chaque fois qu’une escadrille était signalée à quatre vingt kilomètres, la Voralarm retentissait. Toutes les lumières s’éteignaient. Il fallait alors s’habiller dans l’obscurité totale, sans quitter sa paillasse et attendre, avec l’angoisse de ce qui allait suivre et que nous ne connaissions que trop bien. […] Généralement, après ce bref lever de rideau qui nous semblait interminable, la sirène de la gross Alarm déchirait le silence. On se levait en grande hâte, on se ruait dans les caves. Il arrivait souvent que la gross Alarm sifflât sans avertissement. C’était le pire : car nous devions alors nous vêtir précipitamment. Les stubedienst, dans l’obscurité profonde, frappaient en hurlant, au hasard, sur les paillasses où s’attardaient les malhabiles. Il semblait que la nuit accrût leur férocité.»
Louis Martin-ChauffieR, L’Homme et la bête, Gallimard, Paris, 1947
ALERTES
«Ce petit bâtiment […] avait des caves aménagées en chambres fortes avec portes en fer et c’est dans ces caves que les travailleurs forcés du grand hall étaient amenés au moment des alertes. Il s’agissait, pour les Allemands, moins de nous mettre à l’abri, ce dont ils se moquaient éperdument, que de nous mettre sous clef afin d’empêcher des évasions, pendant que les posten et les SS se calfeutraient dans les bunkers.»
Emile Janvier, Retour, Imp. Alençonnaise, Alençon, 1952.
LE DIMANCHE AUX LATRINES
«Il est un endroit où nos bourreaux ne viennent pas nous tracasser : les latrines, où nous nous réunissons pour confronter les nouvelles que nous puisons au hasard des Kommandos de travail. Assis sur une vingtaine de trous en bois, régulièrement lavés au chlorure de chaux, côte à côte, nous tenons le «conseil de cabinet». Cette plaisanterie facile a le don de nous réjouir. Debout, contre nos genoux, d’autres initiés faisant semblant d’attendre leur tour prennent part à la conversation. Par crainte de mouchardage d’un étranger, Français et Belges parlent à haute voix, dans un argot souvent incompréhensible.»
Louis Maury, Quand la haine élève ses temples, Imp. Gutenberg. Louviers, 1950
«Dans chaque Block, il existait des «Waschräume» (lavabos), mais seulement 20 Tinettes pour les 800 à 900 hommes. Impossible donc, pour eux, de se laver et d’aller aux toilettes. Quand nous pouvions nous rapprocher des robinets et nous pouvions nous essuyer, nous n’avions aucune possiblité de changer de chemise. J’ai gardé la mienne plusieurs mois. Mais surtout je tenais fortement serrée ma veste entre mes jambes, sinon elle disparaissait. C’était réellement la loi de la Jungle»
Jankiel Klajman, extrait archives privées «J’ai été le matricule 31613«,
ORGANISER
«Le vol était chose si naturelle que le mot n’était jamais employé. Le verbe «organiser» était en revanche très utilisé et traduit en toutes langues. «Organiser» c’était s’approprier quelque chose à son profit, ou à celui de quelque œuvre à laquelle on s’intéressait. […] Une autre expression d’origine française avait été adoptée, surtout par les Russes et les Polonais : «faire comme-ci, comme-ça». Quand on demandait à l’un d’eux comment il s’était procuré telle chose, il répondait souvent : «Je l’ai eue, comme-ci, comme-ça.»
Marcel PRENANT, Toute une vie à gauche, Encre éditions, Paris, 1980.