«Je revois encore ce Français, condamné à recevoir 100 coups de schlague pour avoir échangé ses claquettes abîmées contre celles d’un mort de la nuit.
La sentence fut exécutée au retour du travail, devant tout le camp réuni sur la Place d’Appel.
Les Kapos lui mirent la tête et les bras dans un tonneau vide, les jambes attachées à l’extérieur et, à deux, lui infligèrent les 100 coups.
La mort avait fait son œuvre avant la fin du supplice, mais ses bourreaux terminèrent leur lâche besogne.»
Journée de travail
«Nous travaillons pour la marine de guerre allemande. Il y a, sans qu’il soit possible d’avoir des contacts, des civils allemands et des ouvriers étrangers et même des Français du Service de travail obligatoire (STO).
La journée de travail est de 12 heures avec une pause d’une 1/2 heure le midi pour ingurgiter notre maigre pitance.
Tous les jours, même le dimanche, debout à 4 heures, toilette sans savon – mais nous avons une serviette de la Kriegsmarine – latrines vite fait, ensuite dehors par n’importe quel temps. Distribution, et pas tous les jours, du quart de «Kafé».
Rassemblement sur la Place d’Appel par block, ils nous comptent, nous recomptent et nous recomptent, toujours au garde à vous et c’est le départ pour l’usine, tête droite et au pas cadencé. Quatre à cinq km à faire à pied, en partie dans la boue du chemin. A 7 heures nous devons être au travail.
Le soir, à 19 heures, regroupés par ateliers, nous retournons au camp. Il faut marcher au pas et par cinq. Bien souvent il nous faut soutenir un camarade fatigué ou malade, transporter les morts de la journée assassinés par les kapos ou les SS.
Témoignage de Raymond Gourlin pour le CRDP de Champagne-Ardenne. 2000.
Pour le témoignage complet, consulter le site du CRDP : www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/
Dossier N° 3
Wilhelmshaven est un Kommando extérieur du camp de Neuengamme situé sur la mer du Nord, créé à partir du mois d’août 1944 et entré en «fonction», le 4 septembre 1944, avec un convoi de 1 200 hommes dont 541 Français, arrivés du Fort Hatry de Belfort (convoi du 28 août au 1er septembre 1944). A notre arrivée, le camp n’était pas terminé et nous devions éliminer un énorme tas de terre glaise qui obstruait la Place d’appel, effectuer des transports de briques à la brouette, sous la surveillance de Kapos et de … SS qui étaient français. Nous étions logés dans des baraquements désaffectés de la jeunesse hitlérienne sur l’Alter Banter Weg. Ensuite affectation à l’Arsenal de la Kriegsmarine où nous nous rendions à pied (4 à 5 km). Dans cet immense complexe industriel, des ateliers de fabrication avaient été isolés et nous étaient réservés. Ils comportaient :
* un grand hall où nous devions travailler comme tourneurs, usiner des pièces d’acier sous le contrôle de contremaîtres allemands, ramasser les copeaux de métal à main nue (ce fut mon cas), fabriquer des câbles en acier, souder des pièces de toutes sortes – très grosses ou très petites – au chalumeau ou soudure électrique, presque sans protection, couper d’énormes plaques de métal à l’aide de machines immenses (souvenir : un Français s’est coupé les deux mains devant moi – suicide ?), effectuer différents modèles à l’emporte-pièce (cas de Jean Mével).
A part, se trouvaient d’autres ateliers, dont :
* la forge où étaient usinées des pièces en fonte pour les navires de guerre. Poste très dur, car les déportés étaient soumis à une intense chaleur pendant leur travail, pour être ensuite en contact avec le froid du dehors, et leurs vêtements étaient troués par les éclats de métal incandescent.
Tous ces bâtiments étaient entourés de rangées de barbelés et étroitement surveillés par les gardes.
Le travail se faisait 24 heures sur 24, par deux équipes, une de jour, une de nuit, de 12 heures chacune, avec une pause d’une demi-heure pour ingurgiter une maigre pitance (voir témoignage de Pascal Valliccioni). A la suite des bombardements alliés, des équipes furent constituées pour déterrer les bombes non éclatées ou à retardement – j’en ai fait partie (voir témoignage de Jacques Le Pajolec).
Fin mars 1945, nous avons commencé à déblayer les ateliers détruits par les bombes. Devant l’ampleur du désastre – navires coulés, sous-marins ventre à l’air … – un rayon de joie éclairait notre visage et nous étions devenus heureux – pour un temps.
L’apport de notre main-d’oeuvre devait aider à la construction de sous-marins dits «de poche». Pour mémoire, sur 285 sous-marins de ce type fabriqués au total, 133 furent construits à Wilhelmshaven, de septembre 44 à avril 45.
Sur les 541 Français du Kommando, 173 étaient encore «vivants» en juin 1945.
(témoignage de Raymond Gourlin, matricule 43948)