Nous sommes arrivés dans ce camp laissé vide par les Jeunesses Hitlériennes. L’électrification de la clôture fut réalisée par des déportés spécialisés. En ce qui me concerne j’ai participé à des travaux divers tel que le terrassement. Par la suite j’ai été affecté à l’équipe de jour à l’Arsenal de la Kriegsmarine. Tout le fond de l’usine à droite était destiné à la soudure électrique avec sur le coté droit 8 à 10 box. C’est dans l’un de ces box, seul, sous le contrôle du Master que j’ai appris la soudure électrique en essayant de prendre mon temps. C’est à cette période là que j’ai eu une otite : j’ai chauffé des petites plaques rondes en fer sur lesquelles je m’exerçais à la soudure, que j’appliquais sur mon oreille pour soulager une terrible douleur, ceci pendant 4 jours, jusqu’à ce qu’un liquide chaud coule et me soulage. C’est la seule période ou j’étais presque heureux de me retrouver seul dans l’isolement de mon box pour me soigner, hors de la vue du Master et des S.S Français.
Ce Meister (contremaître dans une usine, un civil) m’a donné à 3 reprises une tartine de pain avec de la margarine en me disant : schnell, schnell, (vite, vite) j’avalais alors ma tartine rapidement. Il faut souligner que c’était au péril de sa vie car les S.S Français qui nous gardaient, auraient été impitoyables s’ils l’avaient surpris, la torture et la mort sans aucun doute. Deux autres camarades, Jean RAIBIER, décédé à son retour en France, et Paul GABRIEL, perdu de vue, ont eu également des tartines de ce Master. Lorsque je témoigne dans les collèges je le signale toujours aux élèves avec une certaine émotion en pensant à lui.
Après mon apprentissage, j’ai brasé des plaques de cuivre tout le long d’un cylindre métallique de 7 à 8 mètres de long. Ce cylindre appelé « arbre » sur lequel était fixée une hélice était destiné à un sous-marin de poche. Cette pièce maîtresse passait sur un banc d’essai. Malheur à nous si elle ne tenait pas le choc. Un jour un déporté Russe responsable de son poste de travail a reçu une bastonnade par le Kapo vorarbeiter qui l’accusait de sabotage et l’a laissé pour mort sur le sol. Je ne l’ai jamais revu.
Travail de nuit
Par la suite j’ai été mis dans l’équipe de nuit, je ne me souviens plus pour quelle raison mais cela est devenu de plus en plus difficile. Il a fallu s’adapter au travail de nuit, le même travail avec une cadence plus rapide, et nous avons un nouveau Master !
Une nuit de la mi-mars une alerte aérienne oblige tout le monde à descendre dans les abris de l’usine. Dans ce sous-sol nous étions confinés, debout, serrés. Nous entendions tomber les bombes avec une forte vibration et l’explosion. Nous pensions à la mort pendant le bombardement, tout tremblait autour de nous, la peur nous paralysait, un véritable cauchemar. Le calme revenu nous avons attendu très longtemps avant que les Kapo et les S.S nous fassent sortir en hurlant et distribuant des coups au passage. La vision que j’ai eue et qui me reste depuis toujours, c’est un amoncellement de débris, de ferrailles, PLUS D’USINE. Ce matin là nous sommes rentrés au camp presque heureux, mais c’est nous qui avons essayé de déblayer les restes de l’usine …
Pascal Valliccioni – Témoignage, 2006.
(L’auteur n’avait pas encore18 ans au moment de son arrestation)