Au retour d’une colonne de travail à la prison de Fuhlsbüttel, où logeait le Kommando, un SS désigne le déporté à un Kapo et lui dit qu’il a des poux, ce qui, suivant la discipline du camp, valait la mort.
«En ce Kommando où nous n’avions eu ni douche ni vêtement de rechange depuis le mois de novembre – nous étions en mars – l’état sanitaire était déplorable et la vermine grouillait, les poux en particulier. J’en ai vu des blancs, des noirs, d’autres rouges, transparents comme des gouttes de sang. Les prenant sous nos aisselles ou à l’entrejambe, nous les jetions au sol, à la poignée. S’il avait fallu appliquer la règle, le Kommando entier méritait d’être pendu.
Toujours est-il que j’étais, moi seul, accusé et je m’attendais, bien entendu, au pire…
Le Kapo me poussant du bout de sa matraque m’amena aux douches de la prison et m’interrogea :
«Hast Du Laüse ? As-tu des poux ?
Nein, ich habe keine. Non, je n’en ai pas.
Bien entendu, notre règle était de ne jamais avouer.
Il prit alors une douve de tonnelet et m’asséna quelques coups de trique bien appuyés, puis me demanda à nouveau :
Hast Du Laüse. As-tu des poux ?
Nein, ich habe keine. Non, je n’en ai pas.
Même motif, même punition. Il m’asséna un supplément de dérouillée et me demanda à nouveau si j’avais des poux. J’ai pensé qu’il valait mieux varier la réponse et lui dis :
Ja, ich habe welche. Oui, j’en ai.
Il me fit alors déshabiller et me mit sous la douche – froide bien entendu, en plein hiver et déjà à l’état squelettique – puis me demanda de me rhabiller. Je remis alors ma chemise, usée jusqu’à la corde et qui s’en allait en lambeaux, et ma tenue rayée – bien entendu grouillantes de poux.
Le Kapo me demanda alors une nouvelle fois si j’avais encore des poux et, en bonne logique, je répondis oui. Une nouvelle rossée me convainquit que ma réponse n’était point la bonne…»
Jean Le Bris