A partir de mars 1945, à l’approche des armées alliées, les évacuations des camps sont décidées par les autorités nazies, sous la houlette de Himmler. La SS espérait ne laisser vivant aucun de ses esclaves en les évacuant dans des conditions atroces.
Le mouroir de SANDBOSTEL
Pourquoi Sandbostel fut-il un lieu d’évacuation ?
Petite ville entre l’Elbe et la Weser, Sandbostel est un camp de prisonniers de guerre, le Stalag X B.
Une partie des détenus du camp de Neuengamme et de ses kommandos extérieurs devait être évacuée vers le camp de concentration de Bergen-Belsen où existaient des possibilités de les faire disparaître. Des voies ferrées ayant été détruites, les convois partis en direction de ce camp furent détournés vers le camp de prisonniers de Sandbostel qui reçut ordre de les accueillir.
Le Stalag X B : construit en 1939, c’est un rectangle de 700 m. de long sur 500 m. de large, qui comporte quatre parties : un Stalag pour les non gradés, un Oflag pour les officiers, un Marlag pour la marine et un Ilag pour les internés.
Vers la mi-avril 1945, les 23 baraques du Marlag sont inoccupées. Elles sont délabrées, les fenêtres et les châlits ont été enlevés pour servir de bois de chauffage. C’est là que sont dirigés les déportés à leur arrivée, à raison de 800 par baraque
Plus de 10.000 détenus de toutes nationalités, relevant du camp de concentration de Neuengamme, y furent évacués dans des conditions inhumaines.
Le calvaire des convois.
On estime que 13 à 14 convois seraient arrivés à Sandbostel entre le 12 et le 19 avril 1945, en provenance du Camp central de Neuengamme et des Kommandos de Brême, de Hambourg et de Wilhelmshaven.
Les trains arrivent à la gare de Brillit, à l’ouest, ou à celle de Bremervörde, au nord, toutes deux situées à une douzaine de kilomètres de Sandbostel. Ces 12 kilomètres se font à pied pour les plus valides, ou dans des remorques de tracteur, des camions, ou encore des bennes basculantes d’un petit train (type Decauville). La quantité de morts, à l’arrivée en gare, nécessita le creusement de fosses communes à proximité.
330 km. – 13 jours de convoi
Le convoi venant de Wilhelmshaven, avec environ 650 détenus dits « valides », fut le plus lent à parvenir à destination. Parti du kommando le jeudi 5 avril, après 3 jours de marche, il s’arrête :
– à Bremen-Farge le 8 avril (départ le 11),
– à Hornebourg le 13 avril (départ le 16),
– à Harbourg le 16 avril (départ le 17),
– à Hambourg le 17 avril, d’où il repart le même jour pour atteindre la gare de Bremervörde le 18 avril au matin, après 13 jours d’un voyage chaotique où alternent marches à pied et transports par voie ferrée, et au cours duquel de nombreux détenus sont morts.
(Etabli d’après un témoignage de Jacques Le Pajolec, corroboré par les témoignages oraux d’autres déportés du même convoi : Raymond Gourlin, Eugène Le Caignec).
« Nous étions 76 dans notre wagon et à l’arrivée, le sol du wagon de notre voyage était tapissé de morts, car les premiers jours on emmenait les morts sur la plateforme qui se trouvait […] à l’avant du convoi. Et puis quand la plateforme ne pouvait plus contenir de morts, on les a laissés dans le wagon.[…]On étendait donc les morts […] et on s’asseyait dessus, parce qu’on n’avait pas d’autre solution, et que la mort nous était devenue tellement commune, que la vie seule comptait[…]. De Brillit, nous avons été amenés sur Sandbostel. Il y avait […] une voie Decauville qui desservait le camp de prisonniers […] On a mis les morts dans les wagons Decauville et puis les vivants ont fait les kilomètres qui séparent la gare de Brillit du camp, à pied, comme ils ont pu, et cette fois-là, vraiment, j’ai touché le tréfonds de la misère… »
Témoignage de Jean Le Bris (convoi parti de Neuengamme le 8 avril 1945) , 3 février 1997.
Vie et mort à Sandbostel
Plus de 10.000 détenus au total, toutes nationalités confondues, seront entassés dans ce mouroir. Leur garde est assurée par des Schuppos, des SS, des membres de l’artillerie côtière et des volontaires étrangers.
Les prisonniers de guerre voient arriver des êtres épuisés, affamés, dans un état physique et mental désespéré. Face à cet abominable spectacle, ils manifestent pitié, colère et révolte. Ils tentent de porter secours à ces squelettes ambulants. Mais les SS veillent et interdisent, les armes à la main, toute tentative d’aide et de réconfort. La mortalité est effrayante, due à la faim, la fatigue, la dysenterie, les armes SS. Chaque jour des charrettes emmènent 200 ou 300 cadavres à la fosse commune. Le dernier convoi de détenus, arrivant de Wilhelmshaven le 18 avril, découvre des monceaux de cadavres, ceux de leurs camarades de convois antérieurs, entassés sur la gauche en entrant dans le camp.
Dans la nuit du 19 au 20 avril, les SS, sur ordre de Hambourg, regroupent quelques centaines de déportés qui tenaient encore debout. Mettant à profit ce rassemblement, un groupe (beaucoup de Russes et de Polonais) se rue sur les cuisines et les magasins de vivres et les mettent à sac. Les SS les mitraillent sans pitié. Après la fusillade, le calme revient et l’on découvre, au petit matin, des centaines de morts, mais un camp débarrassé des SS. Ceux-ci sont partis avec 3 à 400 hommes dont une centaine de Français, qui venaient à peine d’arriver la veille de Wilhelmshaven.
Cette nuit du 19 au 20 avril marque la fin de la première phase de Sandbostel, la fin du règne des SS.
A partir du 20 avril, sous la responsabilité du colonel ALBERT, les prisonniers de guerre français, après tractations avec les autorités allemandes du camp, en prennent le contrôle. Ils nettoient les baraques où sont entassés les déportés et leur donnent de la nourriture prélevée sur leurs propres rations. Le 21 avril, les P. G. entreprennent de classer les déportés dans les baraques par nationalité, ce qui facilitera ensuite les secours.
Le 23 avril, plusieurs cas de typhus se déclarent.
À partir du 26 avril : désinfection progressive des déportés qui sont nettoyés, épouillés, douchés, habillés de propre, et soignés par les médecins et infirmiers avec les modestes moyens dont ils disposent.
Du 26 au 29 avril, 3.100 déportés sont désinfectés et placés dans un bloc à part, mais il en reste encore 4000 qui n’ont toujours pas été épouillés. L’isolement de tous les typhiques s’avère bientôt impossible, étant donné la rapidité de la contagion. De plus, la dysenterie fait rage et provoque de nombreuses victimes. La mortalité atteint de 200 à 250 victimes par jour. Les morts sont enterrés dans 2 fosses communes à l’intérieur du camp, car les combats aux abords du camp ne permettent pas de sortir.
Le 29 avril, les combats se rapprochent et vers 16 heures les Britanniques arrivent enfin au camp de Sandbostel. C’est la libération mais, pour nombre de déportés, l’épuisement et la maladie sont tels qu’ils prennent difficilement conscience qu’ils sont enfin libres (plusieurs sont dans un état de coma typhique et atteints d’amnésie temporaire).
Le 1er mai, chaque détenu reçoit une carte sur laquelle il peut écrire à sa famille.
Les milliers de morts de Sandbostel sont enterrés dans des fosses communes, aujourd’hui recouvertes de végétation. Les rapatriements se font au fur et à mesure de l’amélioration de l’état de santé des déportés et commencent dès que ceux-ci sont transportables. Certains ne rejoindront la France que fin juin.
Fausse joie pour les familles
A partir du 20 avril, des listes de vivants sont établies par les prisonniers de guerre. Rendues officielles le 29, elles sont expédiées en France et publiées le 8 mai dans le journal « LIBRES », organe du mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (Edition spéciale n° 18), sous le titre : « Liste de Déportés libérés le 7 mai 1945 actuellement au camp de SANDBOSTEL ».
Malheureusement, entre le moment où cette liste a été établie et le moment où elle est publiée, plusieurs déportés sont décédés, et cette publication apporte à leurs familles une fausse joie cruelle. De même, bien des cartes écrites le 1er mai ont fait espérer un retour qui n’a pas eu lieu.