LA MUSIQUE DANS LES CAMPS DE CONCENTRATION
(Source Radio France – Elise Petit – Maîtresse de conférences en musicologie depuis septembre 2019 à l’Université Grenoble Alpes, directrice du département de Musicologie). Extrait de l’article écrit par Clémence Guinard (2023)
Des orchestres sont constitués dès 1933, dans les premiers camps de concentration. Les musiciens sont d’abord des opposants politiques puis, quand les déportations deviennent massives, les musiciens juifs deviennent majoritaires. A Auschwitz 1 en 1942, l’orchestre compte 120 musiciens.
Le 1er objectif principal était de rythmer le quotidien. « Quand ils sont près de la porte des camps, décrit Elise Petit, ces orchestres jouent de la musique militaire ou traditionnelle. Une musique très marquée, qui doit être binaire parce qu’il faut marcher gauche-droite ». Ils jouent alors pour le départ et le retour du travail forcé.
Le 2ème objectif était de jouer pour le commandant et pour les invités officiels. Avoir son propre orchestre de camp, le montrer, le faire jouer devant des hauts dignitaires, est un gage de prestige pour ces commandants. D’ailleurs une véritable concurrence s’installe entre eux. Certains vont même jusqu’à doter « leurs » musiciens d’uniformes. A Buchenwald, les musiciens portent un uniforme volé à la garde royale yougoslave.
Pour ces concerts récréatifs, des œuvres comme celles de Johann Strauss ou des airs de polka sont interprétés. Mais des répertoires sont absolument interdits : jamais Mozart ou Wagner ne résonnent dans les camps. « Le répertoire germanique, notamment Wagner, était interdit aux Juifs parce que pour les Nazis, c’était comme s’ils souillaient la grande musique », rappelle Elise Petit.
Le 3ème objectif était que les musiciens sont aussi forcés d’accompagner les exécutions. Mais les rescapés ont toujours tenu à le souligner : ils n’ont jamais joué pour les sélections ou pour les départs à la chambre à gaz. « Des orchestres ont été postés parfois à l’arrivée de certains convois de centres de mise à mort, explique Elise Petit, pour masquer les cris des victimes qui étaient, elles, déjà arrivées à la chambre à gaz. Ils devaient jouer pour éviter des mouvements de panique.
Comme les autres détenus, les musiciens sont les victimes de la barbarie nazie. La mortalité est très élevée, ce qui explique un renouvellement constant des orchestres. Mais, dans certains camps, leur statut aide à survivre. « Je me rends compte au fil des recherches, analyse Elise Petit, que plus le commandant du camp était mélomane et plus on pouvait survivre en étant musicien d’un orchestre. Parce que cela veut dire que le chef ou la cheffe de l’orchestre pouvait négocier avec les autorités du camp pour avoir quelques privilèges. » Un baraquement pour l’orchestre, l’accès à une douche, la garantie de ne pas se faire voler de nourriture… Des « privilèges » vitaux pour survivre à des conditions inhumaines.
Mais après février 1945, face à l’avancement des troupes alliées et l’imminence de la défaite allemande, les meurtres de masse s’accélèrent et les orchestres sont dissous.