« Par les fenêtres ouvertes, on voyait, planté au milieu de l’Appelplatz, un grand sapin aux branches étalées, arbre de Noël dérisoire, sans givre, sans bougies, sans guirlandes, sans cadeaux, sans enfants, sans famille. On l’avait mis là pour nous narguer, comme le symbole de ce qui nous manquait ; pour rendre plus aigus nos regrets. C’était là un calcul pleinement efficace : il entrait dans nos regards comme le sel dans la plaie. Le soir à peine tombé, il s’illuminait ; son défi nous poursuivait dans les longues insomnies. »
Retour du Kommando de travail
« Le soir, après douze heures de travail, coupé par la soupe de midi, la horde se mettait péniblement en rangs en échangeant force horions et regagnait le camp au pas cadencé. C’était un moment presque détendu : on pouvait espérer s’asseoir un peu, manger un bout de pain et de pâté – issu de quelle inquiétante opération chimique -, peut-être gagner sa paillasse avant l’alerte. Nous franchissions les grilles, par rangs de cinq, martelant le ciment aux sons d’une musique martiale (la force par la joie), redoutant le coup de pied ou de poing d’un SS si nos bras ne pendaient pas assez raides, si notre claquette nous lâchait ou simplement si le SS avait besoin de tendre ses muscles ou ses nerfs. »
Louis Martin-Chauffier