Mon plus beau cadeau de Noël m’a été offert … en camp de concentration, au Kommando de la Kriegsmarine, à Brême, où le camp central de Neuengamme avait envoyé un millier de détenus.
Le 24 décembre 1944, au soir, nous revenions du travail. A l’entrée de nos baraquements j’aperçus une planche à moitié pourrie et cassée. J’en saisis un morceau pour le glisser sous ma veste ; Dans nos cabanes en bois nous avions de magnifiques poêles en céramique… mais rien pour faire du feu dans l’hiver rigoureux ; Un peu de bois était une aubaine.
Hélas, Rolf, le Kapo doyen – droit commun condamné pour assassinats – m’avait aperçu. Il se rua sur moi, commença à me frapper avec sa redoutable canne à section carrée avec laquelle il avait – au 107ème coup – tué un russe les jours précédents.
Notre interprète, René Hirt, un jeune alsacien détenu pour avoir refusé de servir dans l’armée allemande se précipita, parvint à nous séparer et me cria : sauve-toi !… Rolf déclara « ça ne fait rien, j’ai son numéro, le 39929. Il sera pendu pour sabotage. »
J’ai, évidemment, passé une mauvaise nuit à prier et à ma demander si j’aurais le temps, au moment de la pendaison, de crier « vive la France » et « à bas Hitler »…
Le lendemain, jour de Noël, pas de travail. A 10 heures du matin, appel, debout dans la neige par moins 20 degrés centigrades. J’ai eu les pieds gelés. Plusieurs camarades sont tombés et sont morts.
A midi, retour à la baraque. René Hirt m’appela : « J’ai vu ta feuille de pendaison dans le bureau du Schreiber (secrétaire), je l’ai prise et je l’ai mangée. J’eus tout juste la force de lui dire merci. Ce n’est qu’après la libération que je pus lui témoigner toute ma reconnaissance. S’il avait été surpris, il aurait été pendu avec moi, pour m’avoir offert le plus beau des cadeaux de Noël.
Edmond-Gabriel Desprat