En novembre, il y eut des kommandos spéciaux formés pour aller déterrer des bombes, c’était du déminage, du désobusage plutôt, c’était des bombes obus. On était rassemblés à part et, je reconnais, avec une grosse trouille quand on nous disait que c’était pour aller déterrer des bombes. Nous étions en attente d’une grosse camionnette avec deux bancs face à face, il y avait un ou deux gardes qui étaient au dos des chauffeurs et puis la ridelle arrière était relevée brutalement et bien assujettie par un des gardes du camp et nous étions emmenés vers le nord, en direction de la mer du nord.
Là il s’agissait, non pas sur le moment de déterrer la bombe mais il fallait déjà la rechercher. En Allemagne du nord, qui est un pays plat, il y a un sous-sol qui est de l’argile, alors les bombes percutaient, sans exploser, un sol assez tendre et ensuite elles trouvaient les couches argileuses et elles dérapaient horizontalement, aussi bien à droite qu’à gauche, d’où le terme allemand “chercheurs de bombes” bombsucher. Avec des grandes tiges métalliques, en partant du cercle de l’entonnoir fait par la bombe, nous recherchions en faisant des cercles excentrés de plus en plus loin. Nous étions répartis au début en groupes de dix et quelquefois deux groupes intégrés, ce qui faisait un effectif de vingt. Il y avait toujours un kapo polonais par là. Quand la bombe était détectée, à la verticale de cette bombe, nous devions établir un premier trou de recherche, c’est-à-dire un entonnoir, ou un carré de recherche. Et quand ce trou était fait, très large, nous devions en faire un, moins large, un peu au dessous de façon à avoir un chemin de passage, c’était en quelque sorte une pyramide à l’envers. Large en haut et de plus en plus serré, d’étage en étage, jusqu’au moment où nous pouvions visionner la bombe.
Alors là commençait un travail plus minutieux, nous n’avions strictement personne autour de nous, pas de garde, rien du tout, évidemment… Quand elle était repérée et dégagée, à ce moment là des membres de l’équipe montaient au sommet de cet entonnoir à gradins et installaient un énorme palan à trois pieds extensibles, coulissants les uns dans les autres, et en haut était accrochée une poulie avec un jeu de cordes qui nous permettaient d’assujettir – parce que si ça n’avait été assujetti qu’à un seul endroit elle pouvait tomber et percuter – et une fois que c’était fait on remontait tous et on tirait pour remonter la bombe. Dès l’instant où elle arrivait au niveau du sol il fallait la chahuter pour lui donner du ballant et après, quand elle était suffisamment à l’extérieur, il fallait maintenir la bombe pour qu’elle ne redescende pas, les cordes étaient relâchées et elle était au sol. A ce moment là, la plupart du temps, intervenait un artificier allemand qui lui s’intéressait à la fusée, à l’extrémité, et en peu de temps elle était désamorcée. Alors là évidemment c’était un ouf !! de soulagement, y compris pour l’artificier allemand.
Jacques Le Pajolec Témoignage – 2007